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Laissons place aux jeunes !

« L’objectif de ce club n’est pas de donner des minutes aux joueurs du centre de formation ». Sévères, ces mots prononcés par Carlo Ancelotti ce 23 Novembre 2024 brisent probablement les rêves de plusieurs pépites de la Castilla (beIN). Néanmoins, cette déclaration du technicien italien semble s’aligner sur la politique sportive appliquée par la Maison Blanche depuis de nombreuses années.Au Real Madrid, le prestige et les titres avant tout. Si l’institution merengue raisonne de la sorte, son rival catalan affiche une philosophie complètement différente. En confiant aux jeunes de la Masia les clés du club, le FC Barcelone se distingue de son actuel dauphin. Ces deux idéologies sportives se sont montrées payantes, bien qu’étant, pour l’une comme pour l’autre, parsemées de failles. Cette dichotomie institutionnelle s’inscrit au cœur d’un débat foot plus large : laisser la place aux jeunes pépites ou respecter les légendes qui ont fait briller l’institution ?

Insouciance des jeunes et expérience au Barça : un cocktail fertile

D’abord, il est important de dire que ces deux modèles ne sont pas incompatibles. En effet, si le Barça affiche la moyenne d’âge la plus faible du championnat cette saison (23,6 ans, beIN), c’est parce qu’il a su négocier sa transition générationelle. En tirant parti de l’expérience de légendes du foot comme Busquets, Jordi Alba, ou encore Gerard Piqué, il a permis à ses jeunes de croître dans un contexte fertile. Gavi et Pedri, souvent présentés comme la régénération de Xavi et Iniesta, ont pu apprendre de Sergio Busquets pour polir leur diamant brut. Lors de la saison 2022-2023, l’illustre sentinelle vivait ses derniers instants sous la tunique blaugrana. Dans le même temps, Gavi et Pedri s’installaient progressivement comme titulaires crédibles dans un milieu catalan en pleine reconstruction. C’est d’ailleurs cette même année que le Barça remportait le championnat pour la première fois depuis 2019. 

Après trois années compliquées, marquées par des éliminations précoces en Ligue des champions, le FC Barcelone renouait enfin avec le succès. Résultat d’un savant mélange entre fougue et expérience, ce titre sonnait comme le chant du cygne des derniers vestiges de la génération « 2010s ». Prise de pouvoir de la jeunesse catalane et départ des légendes, le Barça entrait dans une nouvelle phase de son histoire.

Pour négocier correctement ce tournant, les dirigeants n’ont pas livré la Masia à elle-même, plaçant un Robert Lewandowski sur le déclin à la pointe de son attaque. Conservant son ange gardien Marc-André Ter Stegen dans les buts, recrutant Ilkay Gündogan pour une saison, le Barça chercha à encadrer sa prometteuse jeunesse.

Le nouveau projet Hansi Flick 

Après une dernière saison de Xavi en dents de scie, l’année foot 2024 marqua un véritable tournant dans la prise de pouvoir des jeunes pépites barcelonaises. La rigueur allemande vu dans le football de Hansi Flick à permit aux dirigeants du Barça de placer définitivement la Masia au cœur de son projet. Marc Bernal, Marc Casado, Hector Fort, Gerard Martin ont tous suivi les traces de Lamine Yamal en ce début de saison. 

Devenu titulaire indiscutable à tout juste 17 ans, vainqueur de l’Euro en juillet dernier, l’ailier espagnol continue de grandir. Le projet catalan s’organise désormais clairement autour de lui, tant le Barça peine à glaner des points en son absence (90min). 

Si de nombreux détracteurs décriaient une gestion douteuse du club après le départ de Gündogan, le monde entier réalise maintenant le coup de génie réalisé par Deco. S’ajoutant aux déjà notoires Gavi, Pedri ou encore Fermín López, les pépites issues de l’entrejeu de la Masia ont prouvé qu’elles étaient au moins aussi efficaces que le milieu allemand. Ici, il est clair que laisser la place aux jeunes a porté ses fruits. Seulement, cela s’est fait progressivement, en conservant certains cadres clés.

Le respect des légendes avant tout

Du côté de la capitale espagnole, c’est bien différent. Si les fruits du projet catalan ont pu être observés lors de l’exercice 2022-2023, et encore plus cette saison, le Real brille également par son modèle antagonique.

Comme l’a expliqué Ancelotti, l’objectif de la Casa Blanca n’est pas de donner sa chance aux jeunes du centre de formation. Le prestige de l’institution réside dans le respect des légendes et de l’ancienneté. C’est d’ailleurs pour cette raison que c’est systématiquement le joueur le plus ancien qui porte le brassard de capitaine au coup d’envoi. Carvajal blessé, Modric plus rarement titulaire, c’est donc Lucas Vázquez qui en a hérité à plusieurs reprises cette saison. Cette hiérarchie fondée sur le respect des aînés découle d’une philosophie profondément ancrée au Real Madrid. 

Camavinga, recruté en 2021, et Tchouaméni, arrivé l’année suivante, ont tous deux dû se montrer patients alors que Kroos et Modric tenaient encore les rênes du milieu merengue. Casemiro parti après une dernière Ligue des champions glanée par le trio du milieu, les deux Français ont progressivement vu leur temps de jeu croître. Seulement, il y a à peine quelques mois, Toni Kroos était encore un titulaire indiscutable dans l’entrejeu madrilène. Grand artisan de la quinzième Ligue des champions du Real, Carlo Ancelotti voyait en lui la pièce maîtresse de son jeu. Allant même jusqu’à parler de lui comme un potentiel Ballon d’Or, l’entraineur italien illustre parfaitement cette philosophie aux contours conservateurs.

Le cas Modric 

Seulement, ces fondements ne sont pas simplement basés sur des convictions idéologiques. Le critère de la performance rentre évidemment en compte. Si Modric, aujourd’hui âgé de 39 ans, rentre encore dans les plans du plus grand club de l’histoire, c’est parce qu’il le mérite. Et il n’est ici pas question de mérite vis-à-vis de son passé, mais bien du présent. Ayant pris part aux 17 rencontres disputées par le Real Madrid cette saison, il s’est déjà distingué avec 3 passes décisives. Vecteur d’une créativité souvent lacunaire dans le jeu madrilène cette année, il continue de trouver sa place dans la rotation.

Avec déjà 795 minutes disputées TTC, il surclasse effectivement un Arda Güler relégué sur le banc (307 minutes). Néanmoins, si le talent du Turc mériterait de pouvoir s’exprimer, le mettre en concurrence directe avec le métronome croate n’a pas vraiment de sens. En effet, Ancelotti a tendance à utiliser l’ancien meneur de Fenerbahçe à droite de son trident offensif ou, à la rigueur, en numéro 10. Luka Modric, lui, reste cantonné à son traditionnel rôle de relayeur. Ainsi, affirmer que si Güler ne joue pas, c’est à cause de Modric, n’est pas entièrement vrai. Des jeunes comme lui ne peuvent pas exprimer leur foot, ce qui est regrettable.

A quel moment partir ? 

Dès lors, l’enjeu de la performance semble justifier le fait que certaines légendes du foot jouissent d’une si grand « favoritisme » vis-à-vis des jeunes. On l’a aussi vu en équipe nationale. Lors de l’Euro, si la présence systématique de CR7 à la pointe de l’attaque portugaise pouvait faire débat, celle de Pepe en défense faisait l’unanimité. L’ex-taulier du FC Porto, qui prit sa retraite à l’issue du tournoi – comme un certain Toni Kroos – quitta le football au sommet de son art. Ainsi, si les vieux briscards restent la meilleure option, pourquoi privilégier les jeunes ?

Un débat similaire s’était tissé en équipe de France à la veille de la Coupe du monde au Qatar. Mike Maignan, poussant de plus en plus fort, et Hugo Lloris, s’accrochant à son poste de numéro 1 dans la cage tricolore. Quelques semaines après la défaite en finale, l’illustre capitaine des Bleus annonçait sa retraite internationale. Il est donc défendable d’offrir aux légendes la fin qu’elles méritent. Cette fin, c’est le choix. Le choix de continuer, d’arrêter ou d’accepter une relégation hiérarchique.

La nécessité d’objectivité face à la tentation de l’instant 

Enfin, il faut rappeler que ce critère de performance peut être biaisé. Lorsqu’un trentenaire traverse une mauvaise passe, on avance directement son âge comme explication. Or, c’est rarement justifié. L’exemple du comeback d’Antoine Griezmann post-2021-2022 l’illustre très bien. Dans ce cas précis, les détracteurs du joueur de l’Atlético avaient grandement manqué de respect au joueur. Christopher Nkunku, en grande forme à cette période, était pressenti par beaucoup pour remplacer Grizou en EDF, avant même la Coupe du monde 2022. Le Petit Prince avait su faire taire les critiques.

À l’inverse, un jeune qui serait moins performant « traverserait simplement une mauvaise passe ». C’est notamment le cas des jeunes Ansu Fati ou encore de WZE (Foot Mercato), qui, dans des proportions distinctes, ont été vus trop beaux, trop tôt. En somme, il convient de rester prudent quand on est partisan de la prise de pouvoir de la jeunesse. Si certaines pépites crèvent l’écran, respecter les légendes demeure primordial. Si ces jeunes sont si talentueux qu’on le dit, leur heure viendra, en attendant ils doivent se montrer patients.

Autrement, on risque de bafouer des valeurs sures au profit de prospects qui ne donnent pas toujours satisfaction. La transition générationnelle est donc une opération délicate qui suggère une certaine herméticité à la culture de l’instant.

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